samedi 11 octobre 2008

P : Poésies de Pierre Emile Farbos (1902 - 1954)


LA MARNE
   
Après avoir rompu dans un élan sauvage,
La barrière opposée à leurs assauts puissants,
Sur nos riches contrées les baignant dans le sang,
Ils se sont abattus, comme tombe l’orage.

Là, violant, pillant, brûlant dans leur sourde rage,
Au nom du bon vieux dieu, ils tuaient en chantant,
Ils croyaient déjà voir à l’horizon fumant,
Les maisons de Paris poindre dans les nuages.

Mais ils se sont trompés, dans un retour soudain,
Nos soldats ont brisé tous leurs espoirs trop vains,
Et ils se sont enfuis jetant leurs viles armes.

Dans un long tourbillon, par la terreur hantée !
Car ils ont vu soudain le coq ayant chanté
Poindre notre soleil sur les bordes de la Marne.
Doazit
11 décembre 1920


I – LA JOIE ET L’AMOUR

SERMENT

La grive chante et rit tout au flanc des coteaux,
L’hiver traîne et se meurt abandonnant ses maux,
La vie renaît partout, les près, les haies, les bois,
Se parent de fleurs, d’oiseaux, de nids à la fois.

Te souviens-tu ma mie, nous les vîmes tous deux,
S’enfuit les bleus pigeons, vers le soleil couchant ;
Nous allions chantant la main dans la main, heureux,
Dans le rêve d’amour que nous étions vivants.

Puis comme eux tu partis, je restais seul, las, triste,
A revivre nos rêves au long des vieilles pistes,
Sous le vent automnal qui me glaçait le cœur
Aux heures où lentement la nature se meurt.

Et les mois ont passé tournant autour des mondes,
Les saisons ont dansé au vent leurs quatre rondes
Cybèle a vu les champs naître, croître et mourir
La vie couvrit les terres et finit par pourrir.

L’homme dans sa folie peut injurier les dieux,
Monter toujours plus haut pour leur ravir les cieux
Las ! tout pourra changer sur notre pauvre terre,
. Et les nations crouler sous les coups de la guerre

Je n’oublierai jamais, ma tendre et douce aimée
Aux lèvres de corail, que ‘ai tenue pamée,
Car l’or de ses cheveux luit en mon cœur qui cogne
Et ses yeux sont plus bleus que mon ciel de Gascogne.

. ou : Et le globe fumer

Allemagne
15 mars 1941


LUMIERE

O ! éternel Phoebus, toi soleil radieux,
O ! symbole constant de la vie immortelle
Sans ta pure clarté la joie où serait-elle ?
Inspire les poètes et réchauffe les cieux !

Tu fais bruire le blé dans sa robe dorée,
Quand au mois de juin sa lourde tête penche ;
De bleu tu as teinté la discrète pervenche,
Semblable aux yeux si purs de ma blonde adorée !

De l’automne mourant, de lumières diaprées
Tu gorges les raisins de la vigne rampante,
Dont le vieux ceps se tord sur le coteau en pente,
Alors que de douceurs les chênes sont parés.

Et dans le matin clair de langueur printanière
Tu surgis dans le ciel, joyeux et triomphant
Comme un archer vainqueur d’un monstre rugissant
Que les traits ont chassé au fond de sa tanière !

L’aurore déchirant de la nuit les lourds voiles,
Tu bondis dans l’azur Apollon conducteur.
Au galop éclatant du quadrige vainqueur
Et le vent de ton char va soufflant les étoiles

Allemagne
7 avril 1941



LE SORT DU POETE
  
Toi, poète, va de l’avant !
MARCHE

Sous la voûte des cieux en arche,
Tu courbes la tête en passant
Dans les huées qui vont clamant
Vers toi sarcastiques et sans honte
MONTE

Sur le sentier abrupt et âpre
CRIE

Te tordant les bras dans les ris
Serrant très fort ton cœur qu’on frappe
De la vie, la rude souffrance,
Va, peine, traîne-toi, avance
Oublie la douleur qui te hante.
CHANTE

Chante joyeux, les amours infinies et pures
Que la beauté inspire au sein de la nature,
Dans la douce langueur d’un parfumé printemps
Sous la pure clarté d’un été finissant.

Autour de toi vont haletants
MEURTRIS

Ceux que les malheurs ont pétris
Dont le repas vient en mourant
Et qui t’implorent gémissants
Pour eux hélas que rien ne leurre
PLEURE

Pleure sur l’âme pleine de désespérance
De ceux qu’un sort cruel écrase de souffrance
Tes larmes sur leurs plaies en un baume calmant
Panseront la douleur qui ravage leur flanc
Toi que cette désespérance
NAVRE

N’espère point trouver son havre
Où s’abriter de sa démence !
Comme une sorte de lourde peine
Le malheur te rive à la chaîne
Qui les balance au bout du gouffre
SOUFFRE

Souffre dur avec eux, tu allèges leur charge,
Tu franchiras ainsi pur, l’implacable marge
Qu’égoïste et cruel, l’homme a parfois construit
Pour libérer ton cœur de détresses d’autrui

Va sur le chemin rocailleux
BUTTE

La vie pour tous est une butte
Sans pitié pour les pauvres gueux
Malheur à celui qui s’abat
Il roule jusqu’aux fonds, très bas
Rebondissant jusqu’à sa tombe
TOMBE

Alors redresse- toi, troubadour, recommence
En ta foi de la vie garde donc l’espérance
Que de ton luth vainqueur les grands chants triomphants
Montent, chantent, pleurent, souffrent aussi et tombent
Des sommets lumineux où tu vins défaillant
Te réchauffer le cœur las de souffrir à l’ombre
Si près du grand soleil dans le souffle divin
Qui inspire ta muse et te libère enfin !

Allemagne
13 – 14 avril 1941



L’AVEU

Je pris alors ta main qui tremble dans la mienne
Et ma bouche te dit ce que mon cœur pensait
Ta tête au casque d’or sur l’épaule penchait
Grave tu attendis que de moi l’amour vienne

Nos lèvres s’écrasèrent en un baiser ardent,
Ta paupière vibrait semblable à un phalène,
Ta poitrine durcie battait à perdre haleine
Ta volonté pliait sous ce souffle brûlant !

Et serrant sur le mien ton beau corps parfumé,
Dans tes grands yeux mi-clos où luisait la lumière,
J’ai lu dans une pure et très douce prière
Que c’était ton cœur seul qui voulait être aimé.

Allemagne
24 avril 1941


METZ

Oui nous reviendrons Metz te revoir en vainqueurs,
Au jour joyeux et clair où les envahisseurs
Sous nos chars écrasés demanderont pardon
Et le sang coulera purifiant leurs affronts.

Tels les corbeaux pillards que le paysan abat
Ils fuiront en ce jour ayant peur du trépas,
Qu’à tout bandit conscient la justice réserve
Et leurs corps desséchés iront pourrir dans l’herbe

Et c’est alors Messeins au cœur vraiment français
Toi qui fus le plus pur de toute la Lorraine
Qu’il te faudra sans peur aplatir sous ta haine
Tous ces crapauds rampants qui par hasard bavaient.

14 mai 1941
Ecrit sur une table de marbre au café « Au roi de la Bière » le jour de ma libération et de mon retour en France. 


II - LA SOUFFRANCE ET LA MORT


TRISTESSE
Tel un bagnard trainant sa chaîne
Tel un lépreux sonnant son mal
Semblable au Christ dans la géhenne
Je vais misérable et banal.

Flagellé du fouet du comité,
Défiguré, rougi, pourri,
Sec de l’amour que j’ai nourri
En moi, l’espoir non plus n’habite.

Que m’importe la pluie, le vent,
La souffrance d’autrui, sa joie,
Et la fleur poussée du printemps,
Et la mort du juste en sa foi !

Ce qu’à son nid chante l’oiseau,
Ce que pleure l’eau dans sa chute
Vieux pan que tu souffles en ta flûte
Percée de cinq trous de roseau !

Car sais-tu compagnon, ami
Mon chien, mon meilleur camarade
Que de son cœur, je suis banni
Et je meurs de sa mascarade.

Allemagne
15 février 1941



A LA MORTE
Je garderai toujours comme en un reliquaire
Les cendres du bonheur et l’amour d’autrefois
Ce feu divin qu’Eros brûle en nos cœurs parfois
Je le conserverai flamboyant en son aire.

Car tu me l’inspiras, toi dont  la salicaire
Bordé de vert la dalle sculptée de la croix
Qu’ombragent les cyprès dont on entend la voix
Berce ton long sommeil d’une complainte amère.

C’est cette terre brune où maintenant tu dors,
Toi que j’aimais hier plus que l’avare son or
Qui t’enlace pourtant et te serre à son tour

Dans l’éternel  baiser qu’à tout mort elle donne
Et sans lui demander qu’à moi elle pardonne
Puisqu’elle m’a tout pris : je vais chanter d’amour.

Allemagne
24 mars 1941



PASSIONS
La foule en murmurant envahit les arènes
Elle se presse et vit dans le cirque brûlant,
Avide de plaisir et assoiffée de sang
Elle attend le combat, angoissée, inhumaine.

Le taureau a bondi. Oh ! la passion est reine
Il a crevé la rosse qui tombe en hennissant,
Les boyaux arrachés jaillissent de son flanc
Et ivre elle applaudit et hurle à perdre haleine !

Trépignant de joie, aveuglée de lumière
Sans aucune pitié, cynique à sa manière
Lâche, elle jouit au triomphe du fort.

Et lui crie sa folie en un mot par trop tendre
Se bouchant les oreilles elle ne veut entendre
Le cri désespéré poussé devant la mort !
  
Allemagne
2 avril 1941



DESTIN
O ! Athènes envahie brûlait de bout en bout
Le peuple libre a fui sur la mer égéenne,
Préférant la mort à l’esclavage, à la chaîne,
Et l’eau sous les coups de rame en courbure, bout.

O ! Pallas Athenae nous te donnerons tous
Les barbares sont là ! Couvres  les de ta haine
Méduse ! pétrifies , durcis leur forme humaine
Sur tes autels iront tous les ? du mois d’août.

Minerve à la chouette, o ! déesse si sage
Protèges nos femmes et nos enfants en bas âge
Que le Perse brutal ne jamais nous domine !

Toutes ayant largué leurs deux voiles auriques
Partant vers son destin la race de l’Attique
Les trières souquaient voguant vers SALAMINE.

Allemagne
4 avril 1941



LA MORT DU LIEVRE
Il saute en la forêt, il fuit au long des champs
Car là bas à l’orée le bruit augmentant
Le cri sinistre et haut de la meute hurlante
Qui s’enfle et rebondit et roule au long des pentes.

Taïou ! taïou ! galopes  en ce matin d’hiver,
Fuis, bondissant, volant sur tes muscles de fer
La lutte est rude, la quête chaude
Sur les scintillants cristaux gelés, la mort rode.

Tout son corps bien tendu, dans un effort ardent,
Il file droit au loin tel un trait fulgurant.
La clameur diminue, il a pris de l’avance.
Fuis ne t’attarde point va malgré ta souffrance.

Il freine son élan et ralentit le train,
Muse dans le sentier se redresse soudain.
Non, il s’assoit, écoute, frappe son oreille ;
Rien  sous son manteau glacé, la forêt sommeille.

Il repart, car déjà la huée recommence
Se rapproche, grandit, refrappant en cadence.
Le sol de ses pattes bandées comme des ressorts
Il lutte, fou, car d’elles dépend tout son sort.

Taïou ! ils suivent obstinés, cruels, farouches
Des crocs blancs et très durs reluisent dans leurs «bouches ».
Implacables, ils approchent et gagnent du terrain
Le fuyard ralentit car il s’épuise en vain.

Alors dans la clairière où le ciel papillote
Sur la feuille argentée, dans la bruyère haute,
En un dernier sursaut à l’ombre d’un vieux houx
Le grand lièvre forcé, au poil blanc, noir et roux,

Tremblant, pattes raidies, ébloui de vertiges,
Bondit vers le soleil très haut parmi les tiges
Et retombe lassé, brisé de tant courir,
Voyant venir les chiens, il se cache pour mourir.

Allemagne
16 avril 1941



A MES CAMARADES DE TOUL DE TUILLIER AUX GROSEILLES

A CEUX DES FLANDRES

Cernés, trahis, brûlant leurs dernières cartouches
La terre et le ciel les lâchaient
Pendant que d’autres se cachaient
Ils mouraient sans un mot d’amertume en leurs bouches.

Tout était fini. Troupeau hagard et sombre
Les derniers, combattant, les preux
Montaient cœur broyé, ventre creux
Le cheval du vainqueur les couvrait de son ombre

Une femme m’a dit : homme pourquoi les larmes,
De tes yeux ont-elles jailli
Tu luttas en vain pour la gloire des armes !

Tu n’as point fui et si ton cœur est lourd de rage
Si ton corps est las et meurtri
Sur ton front un laurier flétri
Est toute une couronne et bien plus davantage

Nul ne peut te reprocher, va la tête haute
Redresses  toi car nous savons
Tout le respect que nous devons
Aux soldats dont l’âme n’est point noire de faute.

Tu reviendras un jour au sein de ta famille
Oui, à l’ombre du vieux clocher
Que le soleil à son coucher
D’une chasuble d’or tout doucement habille.

Femme lui dis-je alors, sais-tu ce que je pleure ?
Ce ne sont ni les lauriers
Ni  la mort de forts guerriers
Ni le vol de pigeons tournant sur ma demeure.

C’est la honte et la peur de ceux qui bêtement
Sans foi trompèrent la patrie
La livrèrent et suis meurtri
Se sont enfuis pleins d’or en courant lâchement.

Allemagne
28 février 1941



A MOI MEME

Ris donc tu dois mourir !
Les pleurs sont inutiles
Les larmes inhabiles
Ne t’ont fait que souffrir.

L’amour que tu croyais
Si beau dans sa jeunesse
Oh ! tu l’entrevoyais
Si pur dans sa faiblesse

S’évanouit d’un coup
Parfois dans un baiser
( d’aucun le nommait fou)
L’on rêve de s’aimer
Un rien suffit alors

Comme un parfum subtil
Le songe est bientôt mort.
Et qu’en subsiste-t-il ?
Des yeux rouges et ternis

Amour tu tues la vie

Chalosse
2 juin 1929



AUX FEMMES DE LA CROIX ROUGE

Et vous êtes parties sur les routes humaines
Où vos frères mouraient de souffrance et d’horreur
Ecartant sous vos  pas la Gloriole et les haines
Charitables alliées vous séchiez bien des pleurs.

Blanches  vous passiez ! Et comme dans un rêve
De douceur et d’amour, vous embaumiez leur mort
Vous portiez en vos cœurs toute la douceur d’Eve
Baisant le front d’Abel, écrasé par le sort.

Et les yeux se fermaient laissant couler des larmes,
Vous remplaciez les mères à ces hommes mourants !
Vous éclairiez leur fin : et comme dans un charme
Ils exhalaient leur vie dans un remerciement.

Saint Sever
7 juin 1941



EN ECOUTANT CETTE MUSIQUE

En écoutant cette musique,
Mon cœur tourbillonne au souffle du passé,
Rebondissant très haut, tel un ressort cassé,
Il vibre de nouveau dans sa force mystique.
En écoutant cette musique

En revivant cette musique,
Le spectre du bonheur devant moi apparut,
Pour la deuxième fois, en moi-même, mourut
La pénible impression de tout bonheur physique
En revivant cette musique,

En oubliant cette musique,
Mon âme se souvient de ce qu’elle a souffert
Dans ces jours de malheur où, de mon cœur ouvert
S’exhalait en des pleurs un chant mélancolique
En oubliant cette musique,

Et en aimant cette musique,
Je retrouvais enfin ce doux apaisement
Que la fuite des jours apporte doucement
Au pauvre homme lassé de la souffrance antique,
Tout en aimant cette musique.

Chalosse
25 septembre 1941




LA HAINE



J'ai erré comme un chien autour de ta demeure,

Comme ces chiens cruels, faméliques et sournois,

Dont les côtes se comptent et qui vont de guingois

Hurlant tous à la mort sur le coup de douze heures.

J'ai rodé comme chien autour de ta demeure.

N'as tu pas senti mon souffle qui sous la porte

Sifflait, tel un vent de feu sur ton corps vénal ?

N'as tu pas entendu tout le bruit infernal

Que mes ongles faisaient fouissant la chose morte ?

Hélas, tu restais sourde, impavide et sereine,

Sur ta couche impudique où l'autre se vautrait

De douleur infinie mon âme se mourait

Et de mon coeur saignant jaillit toute la haine !

Hélas ! tu restas sourde, impavide et sereine.

C'est ainsi que meurtri, brisé par tous ces coups,

Je m'enfuis par les monts me battre avec les loups.



ALGERIE

19 mai 1944



Les loups sont ceux qui sont entrés dans Paris et les monts se nomment Pyrénées.


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